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Dans le contexte actuel de notre secteur professionnel, dont l’actualité est encore largement impactée par la réforme de la formation engagée en 2018 par Muriel PENICAUD, il nous est apparu essentiel de revenir sur les enjeux qui ont présidé à l’histoire de la création des certifications à l’ISTS. Parce que les difficultés engendrées par cette réforme sont éprouvées de manière récurrente par tous les organismes de formation aux techniques du spectacle, non seulement dans le financement de leurs formations longues certifiantes, mais aussi dans le renouvellement des titres sur lesquelles elles s’adossent. Parce que cela demeure notre mission au service de nos publics, de leurs métiers et de leur nécessaire évolution professionnelle.

Ces enjeux font l’objet de cet entretien qui se décline en trois épisodes.

Épisode 1 : La création de la formation et du titre de régisseur du spectacle

David BOURBONNAUD, directeur de l’ISTS :

Au vu du contexte global de notre secteur et particulièrement des difficultés éprouvées au niveau de la réalisation des formations longues certifiantes, j’ai souhaité te proposer un entretien croisé sur l’histoire et les enjeux de la certification de nos titres à l’ISTS. Tu as bien connu cette histoire, pour avoir œuvré au processus de certification des formations aux métiers techniques du spectacle. Il est important de rappeler ici, que ces enjeux président à l’une des raisons pour lesquelles nous avons été et sommes subventionnés par le Ministère de la Culture et la Région Sud : travailler à la conception et à la programmation d’une offre de formation en région ainsi qu’à la structuration des métiers à travers la certification. J’ajoute que cet entretien se situe aujourd’hui dans un contexte où l’existence de ces titres, par leur création ou leur renouvellement, est plus que jamais nécessaire tout en étant, de façon nouvelle, remise en cause.  C’est en ce sens et depuis cette actualité, que le rappel de ces enjeux et de leur inscription dans une histoire forme une perspective.

Je te propose, comme fil conducteur de notre entretien, de suivre les différents titres par ordre chronologique de création et de dépôt. Nous allons donc commencer par la formation et le titre de Régisseur de spectacle.

Jean-Pierre DEMAS[1] : J’interviens pour la première fois à l’ISTS en 1992, à la demande de Claude SAUZE, qui était alors responsable pédagogique de l’ISTS, dans un jury de délivrance du titre de Régisseur de spectacle, qu’il avait créé en 1990. Je découvre la teneur de ce titre en ayant comme référence le titre de régisseur du TNS[2] qui existait déjà depuis très longtemps. Je continue d’intervenir ponctuellement à cette époque dans les cours de l’ISTS en 1992, 93, 94, 95. J’arrive à l’ISTS en 1996, après avoir beaucoup milité au niveau national pour la création de l’OFTSV[3], en réponse à la Lettre de Jacques TOUBON du 14 janvier 1994. Suite à une série d’accidents très graves, au stade de Furiani, à l’exposition universelle de Séville et au Théâtre de la Colline, Jacques TOUBON, ministre de la culture, avait publié cette lettre pour sensibiliser…

David BOURBONNAUD : … à la chaîne de responsabilité

Jean-Pierre DEMAS : … à la chaîne de responsabilité et au fait que les directeurs techniques – c’était la teneur de la lettre – étaient les personnes « sachantes » en la matière et qu’il fallait leur déléguer ce genre de responsabilités. Or la délégation de la responsabilité du chef d’entreprise, juridiquement, ce n’est pas possible. Cela a généré une prise de conscience très profonde au niveau tant des chefs d’établissement, des directeurs techniques que des techniciens responsables. Cela m’a conforté dans le constat que j’ai pu faire à l’époque, soit en tournée, soit en accueil, en tant que directeur technique, sur le niveau fort prononcé d’incompétence des directeurs techniques, au sens des personnels désignés pour cette responsabilité-là. Qu’est-ce que j’entends par « incompétence », au regard de ce contexte et de cette période ? J’établissais un constat de manque de conscience sur la nature de cette responsabilité, un manque de formation en la matière, et ceci, au regard d’une démesure phénoménale du cahier des charges qui établissait leur responsabilité et était établi en bonne part par les compagnies d’assurance.

David BOURBONNAUD : Revenons-en à la formation Régisseur du spectacle : comment a-t-on fait évoluer le titre de Régisseur du Spectacle ?

Jean-Pierre DEMAS : Cela a évolué à la suite de cette prise de conscience. Le constat était le suivant : II était absolument impératif que les personnels techniques revendiquent les responsabilités constitutives de leur métier, mais le directeur technique devait pouvoir s’appuyer sur une responsabilité délégable ou déléguée au niveau des régisseurs.  Pour pouvoir permettre aux directeurs techniques d’assumer – et quelque part aux chefs d’établissement – juridiquement ces responsabilités, il fallait former les directeurs techniques mais également les régisseurs et les machinistes. Il fallait former toute la chaîne professionnelle, ce qui n’était pas le cas.

David BOURBONNAUD : Est-ce qu’il y avait, dans ces années-là, des formations « obligatoires » ?

Jean-Pierre DEMAS : Les formations « obligatoires » apparaissent à cette époque à travers les fournisseurs de matériels (plates-formes élévatrices de personnel, …) qui ont l’obligation de former adéquatement les utilisateurs de ces matériels.  Un marché de formation se développe suite à l’instauration de règles de prévention des risques. Ce marché peut être jugé à certains moments comme antagoniste avec le manque de formation des personnels techniques sur leurs propres savoir-faire, en matière, par exemple, de chaîne de levage ou de stabilité des structures… c’est-à-dire que les accidents dévoilent la rupture de continuité de la responsabilité en termes d’exploitation des dispositifs construits sur cette chaîne. Parce qu’il n’y a pas un sachant sur le terrain qui puisse, à certaines étapes, dire au metteur en scène ou au scénographe la non-conformité de tel usage en se référant au cahier des charges ad hoc qui a été établi.

Dans ce contexte – dans mon souvenir en 1995, avant que je devienne responsable des formations de l’ISTS – nous avons beaucoup réfléchi à ces enjeux avec mon prédécesseur Claude SAUZE, et avec le scénographe Thierry GUIIGNARD. En 1998, le Groupe de Pilotage de l’ISTS me dit, alors que j’étais devenu responsable des formations de l’ISTS, « quand est-ce que tu vas nous fabriquer des machinistes-constructeurs dignes de ce nom ? ».  Ce Groupe de Pilotage a bien énoncé, alors, quel était le besoin fondamental : il fallait former depuis la base des métiers. Il fallait former celui qui fait les nœuds et les accroches, parce que la chaîne de levage et de stabilité des décors passe par les machinistes et les constructeurs.

David BOURBONNAUD : à partir de quand – sachant que tu étais dans le jury de régisseur du spectacle – la formulation des attendus à l’ISTS pour ce titre et cette formation, te semble satisfaisante ?

Jean-Pierre DEMAS : Lors du renouvellement du titre à la fin des années 90. On a travaillé très fort sur ce qu’il convenait d’ajouter dans le cursus de formation de Régisseur du spectacle – et donc sur le référentiel – et cela a porté essentiellement sur la logique d’encadrement, qu’on appellerait aujourd’hui « management ».  Parce que la formation du régisseur à l’évolution des matériels qu’il va mettre en œuvre – cela tombe sous le sens – vient rencontrer l’obligation de seconder les directeurs techniques en matière de continuité de la veille réglementaire et technologique, et en matière de vigilance sur les plateaux et dans les chantiers, tout en étant à même de pouvoir produire des bilans à chaque montage pour enrichir les connaissances des équipes.

Tout cela nous a amené à travailler fortement sur cette logique d’encadrement. Il s’agissait également de mobiliser les techniciens qu’ils encadrent, et pour ce faire, on arrivait à cette conclusion très étrange, à savoir qu’il fallait aux régisseurs se former aux techniques de communication. Les directeurs techniques devaient également s’y former, c’était un manque incroyable ! Pourquoi ? Parce que l’on constatait, dans les années 70/80, qu’une certaine logique du secret prévalait : le régisseur était le maître des secrets, poursuivant une tradition assez longue ; à la fin des années 80 environ, apparaît une logique très différente, celle de l’étalement des responsabilités que l’on peut comparer à la logique de répartition des forces : si l’on veut que la structure tienne, il faut répartir les forces ; en matière de responsabilité il faut répartir les savoirs et les vigilances. Aujourd’hui, le plus sachant en matière d’accrochage et de levage, est censé être le machiniste. Et le directeur technique et le régisseur doivent aller voir le machiniste pour savoir comment accrocher et lever telle structure.

David BOURBONNAUD : Cela pose aussi la question importante de la spécialisation, qu’on appelait alors « approfondissement », dans le cadre de la formation de Régisseur de Spectacle. Pour information, j’ai tenu à ce que l’on conserve le titre de Régisseur de spectacle en l’état, avec deux options, lumière et son. Il n’y a donc qu’un seul titre, les approfondissements étant traités au niveau du programme pédagogique. Bien sûr, tout dépend des cadres d’exercice, d’employabilité. La formation d’un régisseur aujourd’hui doit être envisagée selon les différents types de structure et de contextes de travail. S’il évolue dans une petite compagnie ou un petit lieu, prévaut le besoin d’un socle commun – transversal comme l’on dit maintenant – de compétences. A l’inverse, avec l’évolution technologique et celle de l’organisation du travail dans des contextes plus élaborés, vient se renforcer la question de la spécialisation. Comment l’avez-vous pris en compte ?

Jean-Pierre DEMAS : C’était une donnée dont nous disposions. A la fin des années 80, le processus de formation s’inscrivait déjà dans une logique de séparation des tâches, donc d’hyperspécialisation.

Nous avons très vite réagi et abouti au constat que si la spécialisation technologique prenait le dessus, on donnerait au régisseur une compétence très éphémère puisqu’il va falloir la renouveler très rapidement. La position de l’ISTS consistait à dire : l’hyperspécialisation n’est pas nécessairement ce qu’il y a de mieux.  Par contre, il faut travailler sur la logique d’encadrement et la logique de relais du directeur technique de vigilance en termes de prévention des risques, de veille technologique, de formation des personnels. Tout en réaffirmant que les régisseurs ont un rôle de formateur permanent au sein des structures et qu’il faut les former aussi. J’en suis arrivé également à la conclusion, que les régisseurs avaient un rôle pédagogique auprès des créateurs et des artistes et que ce rôle n’était pas facile à assumer. Encore aujourd’hui, quand je dis en cours à des chef machinistes « vous êtes le premier public du spectacle, vous avez l’obligation de réagir en tant que public… » ça les étonne : il faut noter également à ce propos que l’ISTS s’était singularisé dans son concept de la formation de Régisseur de spectacle en intégrant fortement la dimension artistique. Il fallait former les régisseurs au sens critique, en termes d’appréciation artistique et esthétique à la fois des projets mais également des propositions techniques qu’ils allaient faire pour servir artistiquement l’œuvre. Cette idée ne faisait pas l’unanimité dans le milieu des centres de formation professionnelle continue. Elle se fondait dans ma conception d’une certaine collégialité, c’est-à-dire de permettre à chaque niveau de responsabilité de s’exprimer comme il convient…c’est un vœu pieu.

David BOURBONNAUD : Comment ce travail de conception s’est-il précisé ?

Jean-Pierre DEMAS : Le niveau de vigilance et de critique auquel nous a amené ce travail sur la définition des profils professionnels, donc des référentiels métiers et de formation, nous a amené à augmenter nos exigences en matière de formulation des contenus. Nous avons fait un travail très pointu, je pense, même si cela n’a pas toujours été couronné de succès – je pense par exemple au cours sur le levage.  Ce travail énorme de précision dans la formulation des contenus nous a donné une force que nous avons pu éprouver par la suite.

[1] Jean-Pierre DEMAS, scénographe de formation, a été responsable des ateliers de construction du TNS, puis directeur technique, dans les années 90, pour les 13 Vents – CDN de Montpellier, ainsi que pour des compagnies et des festivals, avant de devenir responsable pédagogique en 1996 puis directeur de l’ISTS. David BOURBONNAUD lui succède en 2013.

[2] Ce titre n’était pas déposé au RNCP – le RNCP n’existait pas – mais délivré par l’Etat.

[3] Organisation Française des Techniciens du Spectacle Vivant

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